Activité scientifique

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Activité scientifique

 

Cette présentation de la recherche menée par Joël Sakarovitch est autographe. Elle est issue d’un rapport d’activité destiné à ses autorités de tutelle et daté de 2011. Depuis cette date, les actes du colloque sur Philippe de La Hire sont parus. La tenue du 4e Congrès international d’histoire de la construction et celle du 2nd Congrès francophone d’histoire de la construction s’étaient déroulées. Il avait rejoint le Projet « Desgodets » et le séminaire « Histoire de la construction ».

Recherche en mathématiques

De 1972 à 1980, mes travaux de recherche se situent en Théorie des ensembles, dans le cadre de l’équipe de Logique CNRS-Université Paris VII dirigée par J.-L. Krivine. En utilisant la méthode du « forcing », développée par P. J. Cohen à la fin des années cinquante pour la démonstration de l’indépendance de l’axiome du choix et de l’hypothèse du continu, j’ai étudié les propriétés de certaines classes de modèles de Zermelo-Fraenkel. Il est en effet possible de construire des suites décroissantes de tels modèles qui admettent une limite, dont la nature et les propriétés, différent de celles de chacun des modèles de la suite. Ces recherches, que j’ai présentées dans ma thèse de troisième de cycle, débouchèrent sur une première série de publications.

Recherche en histoire des sciences et des techniques

Après avoir, au début des années 80, intégré l’équipe des enseignants scientifiques de l’Ecole d’Architecture Paris-Villemin et, parallèlement, entamé des études d’architecture, je me suis intéressé à l’histoire de la géométrie descriptive. L’objet de cette branche de la géométrie est de théoriser le passage de la géométrie plane à la géométrie dans l’espace, passage qui est au cœur du métier d’architecte et qui fut longtemps entouré d’un mystère suffisamment profond pour avoir alimenté le « secret » de la corporation des tailleurs de pierres pendant des siècles.

A la demande de René Taton, j’ai rejoint le groupe de travail que Jean Dhombres avait mis en place pour la publication des Leçons de l’Ecole normale de l’an III, afin de préparer la réédition des cours de Gaspard Monge. Le Laboratoire d’Histoire des Sciences et des Techniques (UPR 21) du CNRS, où j’étais chercheur associé de 1991 jusqu’à sa suppression en 1998, et l’équipe de recherche Géométrie-Structure-Architecture, que j’ai fondée à l’Ecole d’Architecture Paris-Villemin, constituaient alors le cadre institutionnel de mon activité de chercheur en histoire des sciences.

Mes recherches, consacrées à l’histoire de la géométrie descriptive, que j’ai présentées pour l’obtention de l’Habilitation à diriger des recherches en septembre 1997 et pour mon inscription sur les listes de qualification aux fonctions de professeur des universités en 1998, ont donné la matière de plusieurs publications et d’un livre.

Epures d’architecture ; de la coupe des pierres à la géométrie descriptive, XVIe-XIXe siècles, Basel, Birkhäuser, Science Network, 1998, (428 p).

A la suite de cette publication, j’ai orienté mes recherches sur les rapports entre géométrie et mécanique. Avec Galilée, la “firmitas” des structures quitte le champ de la géométrie et passe sous la coupe de la mécanique. Mais la nouvelle ligne de pensée galiléenne ne s’impose pas sans heurts ni difficultés. J’ai tenté d’expliciter les réticences d’une partie des experts français, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à quitter le champ de la géométrie pour rendre compte de la stabilité des voûtes.

« Architettura e struttura : tra tradizione e scienza della costruzione », in Enciclopedia Italiana, t.V 5b – Matematica – Cap. 13, déc. 2002.

« Entre mécanique et géométrie, penser l’architecture clavée : l’exemple de Frézier », in Becchi A., Corradi M., Foce F., Pedemonte O., eds, Towards a history of construction. Dedicated to Edoardo Benvenuto, Birkhäuser, Basel, juil. 2002, pp. 587-600.

Mesure et grands chantiers, 4000 ans d’histoire, Edition de l’Ordre des Géomètres-Experts, Paris, 2003.

Recherches depuis 2005

Dans le prolongement de mon activité antérieure, les travaux que je mène depuis quelques années participent principalement soit de l’histoire de la géométrie soit de l’histoire de la construction. Leur caractéristique commune est de chercher à dégager les interférences, les influences réciproques entre le monde savant et le monde du bâtiment qui vont déboucher sur la constitution d’une « science de la construction » au XVIIIe siècle.

–          Géométrie pratique, géométrie savante, géométrie constructive

La place de Desargues dans l’histoire de la géométrie a donné lieu, depuis l’ouvrage de Chasles de 1837[1], à de multiples travaux. René Taton avait en particulier publié en 1951 un ouvrage de référence sur l’œuvre scientifique arguésienne. A l’occasion du colloque que j’ai co-organisé, en 1991, pour le quatrième centenaire de la naissance du mathématicien lyonnais, et des actes qui suivirent[2], ses différents traités pratiques – fascicule de perspective, de gnomonique, de coupe des pierres – ont été largement revisités. Leur rôle dans la constitution de la géométrie arguésienne a été amplement souligné à cette occasion.

Mais cette influence a toujours été présentée comme fonctionnant « à sens unique », la géométrie pratique nourrissant la géométrie savante. J’ai pu montrer que  l’influence de Desargues sur le monde des praticiens, appareilleurs et charpentiers, a été largement sous estimée. L’évolution des tracés, durant la 2e moitié du XVIIe siècle, que l’on peut constater en France chez les praticiens, est la marque de la diffusion, non pas de la géométrie arguésienne au sens mathématique du terme, mais de certaines méthodes géométriques développées par le savant lyonnais. Au delà du cas de Desargues, c’est l’ensemble des relations entre géométrie pratique et géométrie savante aux XVIIe et XVIIIe siècles qui semble se modifier.

 « Géométrie pratique, géométrie savante », in T. Paquot et C. Younès (éd.) Géométrie, mesure du monde, Editions La Découverte, Paris, 2005, pp. 45-60

« From one curve to another or the problem of changing coordinates in stereotomic layouts », in Creating Shapes in Civil and Naval Architecture. A Cross-Disciplinary Comparison. H. Nowacki and W. Lefèvre eds, Leiden-Boston, Brill, 2009, pp. 297-319.

« Le fascicule de coupe des pierres de Girard Desargues » Encyclopédie des métiers : la maçonnerie et la taille de pierre, Tome 2, Edition des Compagnons du Devoir, Paris, 2010, p 121-147.

L’Ecole polytechnique ayant, en 2002, acheté – et mis à la disposition des chercheurs – une partie des archives de Monge restée jusqu’alors dans le domaine privé, j’ai pu avoir accès à certaines pièces inédites de sa correspondance scientifique. Mieux qu’à travers son œuvre publié, ces lettres permettent de comprendre comment géométrie infinitésimale, problèmes pratiques, et géométrie synthétique viennent s’articuler dans l’œuvre créatrice du fondateur de la géométrie descriptive. Elles permettent également de mettre en évidence la conception très spécifique que Gaspard Monge avait de la géométrie et d’expliquer la position qu’il lui donnait dans l’ensemble de ses projets pédagogiques.

J’ai été ainsi amené à reprendre mes travaux sur la géométrie mongienne, tant sur la position ambiguë de la géométrie descriptive dans les cours de Monge à l’Ecole polytechnique, entre représentation et abstraction, que sur ses intuitions géométriques. J’ai en particulier cherché à montrer que Monge ouvrait une voie de recherche inédite, entre géométrie et construction et jetait les bases de ce que l’on peut appeler la « géométrie constructive des surfaces », dont l’un des objets est de construire « au mieux » une surface donnée a priori.

« Gaspard Monge : Géométrie descriptive, first edition (1795) », in Landmark Writings in Western Mathematics, 1640-1940, I. Grattan-Guinness ed., Elsevier Science, Amsterdam, 2005.

« La géométrie dans les projets pédagogiques de Monge », Histoires de géométries, Textes du séminaire 2005, Dominique Flament éd., Fondation Maison des Sciences de l’Homme, Février 2006, pp. 1-12.

« Gaspard Monge, un géomètre de la transformation douce », Un savant en son temps : Gaspard Monge, Bulletin de la Sabix, Ecole polytechnique, n° 41, mars 2007, pp. 47-59.

« Gaspard Monge founder of “constructive geometry” », Proceedings of the Third International Congress on Construction History, K.-E. Kurrer, W. Lorenz, V. Wetzk, eds., BTU, Cottbus, 2009, pp. 1293-1300.

–          L’histoire de la construction, histoire des sciences et expérimentations constructives

La stéréotomie offre un champ d’étude emblématique de l’histoire des sciences et des techniques. La complexité des problèmes liés à un usage savant de la coupe des pierres fait en effet de la stéréotomie un lieu d’analyse privilégié de ce que l’on appelait au  XVIIIe siècle les « sciences intermédiaires », où géométrie, calcul infinitésimal et physique newtonienne sont tour à tour convoqués pour théoriser (mais aussi pour résoudre) des problèmes constructifs. Ce champ de recherche entre histoire des mathématiques et histoire de la mécanique, connaît actuellement un large développement.

L’ouverture, en 2002, du Pôle d’enseignement, de recherche et d’expérimentation de la construction des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau[3] m’a permis d’aborder ces thèmes de recherche de façon originale. Les diverses expérimentations constructives[4] que j’ai menées permettent certes de renouveler l’enseignement de la construction au sein des écoles d’architecture. Mais, par des vérifications expérimentales qu’elles autorisent, elles permettent également de revisiter l’histoire des sciences et des techniques, en offrant la possibilité de mieux comprendre les ressorts de l’innovation technique et la pertinence – ou non – des approches théoriques proposées au XVIIIe siècle.

« Construction history and experimentation », Proceedings of the Second International Congress on Construction History, Malcolm Dunkeld et al. ed., Construction History Society, Cambridge (G.B.), 2006, pp. 2777-2792

 « Géométrie descriptive et expérimentations constructives », Pour une histoire professionnelle des sciences ? n° spécial des Archives Internationales d’Histoire des Sciences, Vol. 57, n° 159,  Brepols, 2008, pp. 443-454.

« La stéréotomie ou l’histoire de la construction en chantier », Liber amicorum Jean Dhombres, P. Radelet de Grave éd., CRHS, Louvain-la-Neuve, 2008, pp. 499-517.

« The history of science and the history of construction »,  Mechanics and Architecture between Episteme and Techne, Anna Sinopoli ed., Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2010, p. 157-167.

Recherches en cours
Expérimentations constructives

Les premières expériences que j’ai menées aux Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau ouvrent un champ de recherche extrêmement vaste dans le domaine de l’histoire de la construction, mais aussi assez long à mettre en œuvre, contrepartie inévitable de toute réalisation pratique. Après une première phase de réalisation, qui m’a permis d’obtenir une certaine familiarité avec les techniques constructives utilisées, j’ai pu élaborer des protocoles expérimentaux pour tester le comportement statique de voûtes et effectuer une première série de mesures. L’exploitation de ces résultats permet de confronter les estimations comportementales données au XVIIIe siècle avec une batterie de résultats observés, et ainsi d’apporter un éclairage nouveau sur les sciences de la construction naissantes[5].

François Fleury et Joël Sakarovitch, « La voûte plate de Joseph Abeille : analyse du comportement structurel », in Architraves et poutres, Roberto Gargiani éd, Lausanne, Presses polytechniques universitaires romandes, à paraître.

D’autres expériences similaires ont été menées, en février 2009, concernant l’analyse structurelle des charpentes médiévales[6], et en février 2010 concernant les plates-bandes appareillées[7]. Ces travaux menés en collaboration avec différents doctorants de GSA, fourniront la matière de divers articles et communications, en particulier au 4th International Congress on Construction History, et seront poursuivis par des thèses du laboratoire. Ces expériences, et les recherches associées, sont caractéristiques des travaux menés au laboratoire qui en croisant histoire technique et modélisation du comportement structural, sont susceptibles de renouveler et la compréhension que nous avons des techniques anciennes et l’utilisation possible de matériaux traditionnels dans la construction contemporaine.

Le projet de La Hire

J’ai mis en place en 2009 un projet de recherche centré sur la figure de Philippe de La Hire[8]. Scientifique protéiforme de la fin du XVIIe siècle, disciple indirect de Girard Desargues, , directeur de l’Observatoire de Paris, membre de l’Académie royale des sciences et professeur à l’Académie royale d’architecture, il est en particulier auteur d’ouvrages de mécanique, de géométrie et d’un mémoire de statique des voûtes qui fit autorité durant tout le XVIIIe siècle. Pourtant, si ce savant universel a déjà fait l’objet de travaux de la part d’historiens des sciences, son activité en tant que professeur à l’Académie d’architecture n’a jamais été analysée. A travers elle, c’est l’ensemble des liens entre l’architecture et les sciences à la fin du XVIIe siècle et dans les premières années du XVIIIe siècle qui est à évaluer. Dans le cadre de cette recherche, j’ai organisé en juin 2010, à l’ENSAPM, à l’INHA et à l’Académie d’architecture,  un colloque intitulé Philippe de La Hire, entre Architecture et Sciences.

Les actes de ce colloque pluridisciplinaire réunissant historiens des sciences, historiens de l’architecture et historiens de l’art, sont à paraître chez Picard. Ils seront suivis de l’édition commentée des cours donnés à l’Académie d’architecture par de La Hire, et qui constituent deux manuscrits inédits, un traité d’architecture et un traité de coupe des pierres, au croisement de la statique et de la géométrie.

[1] M. Chasles, Aperçu historique sur l’origine et le développement des méthodes en géométrie, Bruxelles, 1837.
[2] Desargues en son temps, Dhombres J. et Sakarovitch J., éds.,  Paris, Blanchard, 1994.
[3] Le réseau « culture constructive », auquel le laboratoire que je dirige participait, a fédéré, dans les années 90, les équipes de recherche des écoles d’architecture pour lesquelles la construction est le thème dominant. L’ouverture des Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau doit beaucoup à l’action de ce réseau.
[4] Ces expériences sont menées en collaboration avec des professionnels du bâtiment, en particulier avec Jean-Paul Foucher et Luc Tamborero, compagnons tailleur de pierre, et Nicolas Gagey, compagnon plâtrier, ou avec des collègues d’écoles d’architecture, en particulier avec Patrice Doat, professeur à l’ENSA de Grenoble, Riccardo Gulli et Giovani Mocchi, professeurs à l’Université de Bologne (Italie), François Fleury, Maître assistant à l’ENSA de Lyon et Maurizio Brocato, professeur à l’ENSAPM. .
[5] En collaboration avec François Fleury, enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon.
[6] En collaboration avec Rémy Mouterde, enseignant à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon et doctorant à GSA.
[7] En collaboration avec Maurizio Brocato, professeur à l’ENSAPM.
[8] Avec Antonio Becchi, chercheur au Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte de Berlin,  Hélène Rousteau-Chambon, Maître de Conférences d’histoire de l’art à l’Université de Nantes, et Luc Tamborero, doctorant à GSA.