Appel à contributions Cahiers Thématiques n° 19

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Technologie et bâtiment : un patrimoine silencieux

Le laboratoire de recherche de l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille (LACTH / Laboratoire Conception – Territoire – Histoire – Matérialité) publie annuellement les Cahiers thématiques. Le dix-neuvième numéro, coordonné par les domaines « Matérialité » et « Histoire » dont la parution est prévue en 2020, sera consacré à la question des héritages techniques de l’architecture du XXe siècle. Silencieux et discrets, parfois cachés, très souvent assujettis aux impératifs de l’adéquation technique, ces héritages méritent d’être connus et préservés dans l’intérêt des générations futures.

Ce numéro s’inscrit dans la continuité des actions pédagogiques et de recherche du LACTH dans le cadre de l’appel à projet « Architecture du XXe siècle, appel à projet pour la ville durable du XXIe siècle » lancé par le Ministère de la Culture et vise à questionner les chercheurs sur les opportunités ouvertes par la connaissance intime et bienveillante d’un patrimoine collectif, diversifié, parfois banal, source potentielle d’inventions.

Un héritage périmé, plein de promesses
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, la conception architecturale s’est trouvée considérablement transformée avec l’arrivée de quantités de nouveaux matériaux et de composants qui ont révolutionné l’art d’édifier. Présentés dans des catalogues toujours plus fournis, ces éléments n’ont cessé de faire évoluer les différents corps d’état contribuant à améliorer la qualité du projet construit. Plus finement maîtrisé à l’échelle de sa structure, plus abouti au niveau du contrôle des ambiances grâce aux progrès des produits du second œuvre, le projet architectural n’a cessé de résoudre des problèmes toujours plus complexes, en phase avec son temps.

L’évolution rapide des modes de vie après la Seconde Guerre mondiale a imposé à l’architecture un rythme effréné en lui demandant de s’ajuster vite et bien aux exigences croissantes d’une société en profonde mutation. Avec un peu de recul, cette période de grande invention stimulée notamment par les recherches de l’industrie chimique, est souvent apparue comme une étape transitoire et dénuée de conscience écologique dont on n’a parfois gardé qu’un souvenir mitigé. Après avoir été souvent refoulée, l’architecture des Trente Glorieuses connaît aujourd’hui un regain d’intérêt lié à la nécessité d’adapter une production obsolète aux nouvelles attentes environnementales. Depuis quelques années, historiens et praticiens profitent de ce débat pour rappeler les qualités indéniables d’une architecture aujourd’hui en crise et menacée de disparition.

Trop bien ancré dans son temps, cet héritage qui semble d’autant plus décalé et déconnecté des préoccupations actuelles, mérite en effet d’être considéré pour ses qualités intrinsèques. Un regard curieux et attentif permet de souligner ses vertus constructives, ses propriétés techniques et les trésors d’ingéniosité qui sommeillent derrière des enveloppes devenues à la fois banales et emblématiques.

Cet appel à contribution propose d’attirer l’attention de la communauté des historiens de l’architecture, de la construction et des techniques sur les ressorts d’une mise en œuvre devenus invisibles et pourtant essentiels pour la pérennité de l’ouvrage. Au-delà des pratiques de restauration bien installées, il s’agira de souligner la nécessité de mettre en place une démarche d’exploration originale pour évaluer la spécificité de dispositifs méconnus ou oubliés, avant d’envisager les différentes étapes d’une intervention juste et mesurée, initiée à partir des traces du passé.

Insister sur les vertus de la connaissance avant d’engager l’action n’a rien d’original. Ce cahier thématique propose cependant de souligner l’importance d’un chaînon de l’histoire de la construction qui a parfois fixé les limites d’édifices rétifs au mouvement de l’histoire. Stimulée par l’étude monographique et une bienveillante attention portée à ses qualités cachées, la technologie de ces vieux édifices désuets devient alors un patrimoine vivant, plein de nouvelles promesses d’architecture.

Aller au plus près de l’édifié
Publié au temps fort de cette période de grands bouleversements dans l’art de bâtir, le livre L’Architecture du XXe siècle de Bernard Champigneulle et Jean Ache paru en 1962 insistait sur les nouvelles voies explorées par les architectes de cette époque, saisissant les perspectives offertes par de nouveaux moyens techniques. Pour Jean Ache, « l’avantage des matériaux modernes sur les matériaux traditionnels est que leur mise au point a été faite en fonction de l’emploi que l’on voulait en faire : au lieu que le constructeur soit obligé de s’adapter au matériau que la nature lui offrait, il a pu obtenir un matériau adapté à ses besoins[1]. » Ce nouveau paradigme ne faisait que renforcer l’esprit d’invention à toutes les échelles du bâti en suscitant quantités de solutions originales.

Les logiques formelles et programmatiques qui s’affirment dans ces réalisations d’un nouveau genre ne laissent cependant pas toujours voir ces transformations opérées au cœur du projet. Accéder à ces traces souvent enfouies et qui concentrent pourtant l’esprit du projet, constitue le défi auquel se trouve aujourd’hui confronté l’historien. Il s’agit alors d’engager une patiente recherche archéologique où les archives secondent l’observation faite sur le terrain. Les travaux de Franz Graf et de son équipe à Lausanne ont largement illustré cette manière de se transporter au plus près de la réalité matérielle de l’architecture pour mieux en comprendre le sens. Attentif à tous les signes, tous les aléas d’une micro- histoire de la construction, le chercheur met au jour un savoir indispensable qui devient alors la pierre angulaire de toute intervention ultérieure.

Cette manière de prendre à parti l’édifice comme un héritage accompli, à la fois source de questionnements et réservoir de pièces à convictions, constitue le premier objectif de cet appel à contributions où les auteurs sont invités à mettre l’accent sur les méthodes de recherche qui permettent d’atteindre cette réalité cachée.

Des expériences initiées à la faveur de l’objet construit
Cet héritage silencieux, complexe, parfois difficile à déchiffrer dans ses dimensions qualitatives et quantitatives est aujourd’hui sommé de s’adapter à l’évolution des normes et des usages d’un monde en train de se réinventer. Au-delà des nombreux enseignements de l’histoire en matière de théories et doctrines de restauration du patrimoine, la charge technique de ces édifices mérite d’être évaluée au cas par cas, comme le suggérait Ambrogio Annoni, professeur au Politenico de Milan, dans son intervention au Congrès de Tokyo en 1929[2]. Résistant à toute formule d’interprétation préétablie, et soutenu par le cercle de ses élèves (Liliana Grassi, Carlo Perogalli, et plus récemment Maria Antonietta Crippa), Annoni recommandait déjà d’intervenir avec sagesse dans les situations les plus complexes, en écoutant les édifices dans une exploration attentive, qui écarte les lectures trop univoques et réductrices.

Contre des solutions systématiques apparemment rassurantes en raison de leur caractère pseudo scientifique, Annoni préconisait l’établissement d’un « dialogue avec le monument » comme l’aurait dit Gaetano Moretti son maître milanais. En mobilisant de nombreuses histoires de constructions, d’installations techniques, de produits industriels, de chantier et d’entreprises, cette auscultation patiente permet, comme le rappelle Bruno Reichlin, « de nous pacifier avec les choses et les bonnes raisons qui les rendent ce qu’elles sont. » Cette vision d’un patrimoine défini comme une « fabrication culturelle[3] » présente, de plus, un réel potentiel pédagogique pour la formation des futurs architectes[4].

Ces expériences et ces points de vue servent d’une certaine manière à bousculer nos catégories critiques et systèmes de valeurs en nous obligeant à considérer l’intervention comme un engagement culturel et non seulement comme un acte méthodologique. Grâce à un retour aux sources de la technique pour en comprendre les fondements, les développements et les conséquences, cette démarche pousse à agir dans le sens vertueux d’une pensée durable et responsable, parfaitement en phase avec les exigences de notre époque.

Les modes d’accès au réel évoqués dans la première partie de cet appel à proposition se trouvent ici intégrés dans un contexte élargi fait d’expériences plus globales motivées par des considérations éthiques qui servent à penser et à nourrir l’action. Les contributions pourront ainsi explorer les mécanismes qui font de cet héritage technique le prélude d’un renouveau architectural.

Attendus
Les contributions doivent être inédites et ne pas être en cours de soumission à d’autres publications. En termes de contenu, elles doivent apporter une contribution substantielle et des nouvelles connaissances au débat scientifique sur les héritages techniques de l’architecture du XXe siècle (méthodes, opérations exemplaires, personnalités clairvoyantes, solutions techniques, procédés innovants, occasions perdues). Elles seront soumises à la double expertise anonyme du comité de lecture.

Varia
Dans ce numéro des Cahiers Thématiques des contributions spécifiques seront consacrées aux témoignages de divers acteurs (ACMH, architectes du patrimoine, artisans, fabricants) qui, confrontés au quotidien à la réalité matérielle de ce patrimoine discret, pourront partager, dans un texte de 5000/10000 signes, expériences, découvertes, rencontres, disparitions, oublis.

Antonella Mastrorilli
Éric Monin

DIRECTION SCIENTIFIQUE DE CE NUMERO

  • Antonella Mastrorilli, architecte, professeur en Sciences et Techniques pour l’Architecture à l’Ensapl et chercheur au LACTH (domaine Matérialité).
  • Éric Monin, architecte, professeur en Histoire et Cultures architecturales à l’Ensapl et chercheur au LACTH (domaine Histoire).

Comité scientifique des Cahiers thématiques (permanent)
Pascal Amphoux, professeur à l’ensa de Nantes ;
Valter Balducci, professeur à l’ensa de Normandie ;
Jean-Marc Besse, professeur à l’ensp de Versailles ;
Rika Devos, chargée de cours à l’Ecole Polytechnique de l’Université Libre de Bruxelles ;
Franz Graf, professeur associé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne ;
Daniel Le Couédic, professeur à l’Université de Bretagne occidentale (Brest) ;
Philippe Louguet, professeur émérite des ensa ;
Frédéric Pousin, professeur à l’ensa Paris-Belleville ;
Sylvie Salles, maître assistant à l’ensa Paris Val-de-Seine ;
Danièle Voldman, directrice de recherche CNRS et professeur émérite de l’Université Paris 1.

Comité de lecture
En cours de constitution
Catherine Blain
Xavier Dusson
Richard Klein
Pierre Lebrun
Antonella Mastrorilli
Eric Monin
Roberta Zarcone

Calendrier
25 mars 2019 : Lancement de l’appel à contributions
25 avril 2019 : Réception des résumés
15 mai 2019 : Avis du comité de lecture sur les propositions
1er septembre 2019 : Réception des articles
Février 2020 : Parution des Cahiers thématiques n°19

MODALITES DE CONTRIBUTION
Une proposition résumée de 1500 à 2000 signes sera transmise au secrétariat du LACTH pour le 22 avril 2019 afin d’être soumise au comité de lecture.

Les contributions définitives doivent parvenir avant le 15 septembre 2019 dernier délai, à l’Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille par courrier électronique. Les textes, qui comporteront entre 15 000 et 20 000 signes maximum (espaces compris et notes non comprises), seront accompagnés d’un résumé de 1000 signes maximum ainsi que d’une présentation de l’auteur (3 lignes maximum). Les textes qui dépasseraient ce format seront retournés aux auteurs.
Les notes figureront en fin de texte et seront tapées en linéaire. Elles ne doivent pas excéder 25% de la totalité des signes du texte. Vous trouverez à la fin de ce document le modèle de mise en page des notes (pas de notes automatiques en bas de page ou en fin de document et pas d’appels de note automatiques).

Les illustrations (4 illustrations noir et blanc maximum), fournies sur support traditionnel ou numérique (300 Dpi minimum en format TIF), devront être libres de droits. Ces illustrations seront légendées et l’auteur mentionnera l’ordre et la localisation vis-à-vis du texte. Si ces illustrations sont extraites de revues, d’ouvrages ou proviennent de sources d’archives privées ou publiques, les auteurs joindront les autorisations écrites des détenteurs de droits (photographes, éditeurs, centre d’archives…) et devront nous confirmer qu’elles sont bien libres de droit.

Les auteurs, en répondant à cet appel à contribution, autorisent l’École d’architecture de Lille à publier leur contribution dans le cadre des Cahiers thématiques N°19. Ces contributions ne sont pas rétribuées. Les textes seront publiés en français ou en anglais, dans la langue choisie par l’auteur (seuls les résumés des articles seront traduits).

CONTACTS :
Isabelle Charlet, secrétariat général du LACTH — mail : lacth@lille.archi.fr
Antonella Mastrorilli & Eric Monin, direction et coordination Cahiers thématiques n°19 : a-mastrorilli@lille.archi.fr , e-monin@lille.archi.fr
École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille
2 rue verte, Quartier de l’Hôtel-de-Ville
59650 Villeneuve d’Ascq

[1]Ache (Jean), « Les techniques d’aujourd’hui et l’architecture », in Champigneulle (Bernard) et Ache (Jean), L’architecture du XXe siècle, Paris : Presses universitaires de France, 1962, p. 113.
[2]Perogalli (Carlo), Scienza ed arte del restauro architettonico, Milano : Framar, 1946. Il s’agit d’un recueil des cours d’Ambrogio Annoni.
[3]Lorsqu’il dit cela, Bruno Reichlin paraphrase Nathalie Heinich (Cf. Heinich (Nathalie), La Fabrique du patrimoine. « De la cathédrale à la petite cuillère », Paris, éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France » 31,
2009, 288 p.).
[4]Cf. Reichlin (Bruno) « Riflessioni sulla conservazione del patrimonio », in Palazzotto (Emanuele), Il restauro del moderno
in Italia e in Europa
, Milano : Franco Angeli Edtore, 2011, p. 117- 130.